Pour combattre le cancer, il faut le dépister tôt !

Pour combattre le cancer, il faut le dépister tôt !

« Je viens de passer 2 ans et 3 mois ici au CMCK-Centre Médico-chirurgical de Kinindo (Bujumbura). J’y suis arrivée à la suite de malaises que je ressentais au niveau des organes respiratoires. Pour moi, je pensais que je souffrais de l’angine ou de la sinusite. Pendant un an je me faisais soigner à l’hôpital militaire de Kamenge (Bujumbura), sans amélioration majeure. C’est suite à des examens médicaux approfondis qu’on m’a notifié que j’avais une tumeur cancéreuse au niveau du visage, d’où cette cicatrice que vous voyez sur ma figure ». 

C’est en ces mots que Dame Marie Nsabimana, 63 ans, originaire de la commune de Rugombo dans la province de Cibitoke (70 km de Bujumbura), nous raconte son histoire avec le cancer. Une pathologie qui sévit et prend, de plus en plus, de l’ampleur au Burundi où aucune couche de la population n’est épargnée. Selon le Dr. Jean de Dieu Nziyumvira, médecin officiant au service d’oncologie du CMCK, seul centre de référence en matière de prise en charge du cancer au Burundi, la situation de cette pathologie est très alarmante dans le pays, car touchant aussi bien les hommes, les femmes, les jeunes, les personnes âgées que les enfants. Et là où le bât blesse : « la plupart des patients viennent à l’hôpital au stade très avancé de la maladie », regrette Dr. Nziyumvira qui présente le tableau de la prévalence du cancer au Burundi. « Depuis la création du service d'oncologie en pleine épidémie de Covid-19, nous avons reçu 1427 patients dont 467 diagnostiqués du cancer. Parmi ces cas, 75 sont des enfants, soit 16% et 390 cas sont des adultes, soit 84% des patients. Le cancer du sein vient en tête avec 159 cas (40,7%) chez les adultes. Parmi ces 159 patients, 99 patients sont venus à l’hôpital au stade 4 de la maladie soit 62% des patients présentant le cancer du sein. 52 patients étaient au stade 3 (pathologie localement avancée) soit 32% des cancers du sein. », nous explique le Dr. Jean-De-Dieu Nziyumvira.

En dehors du cancer du sein qui prédomine au Burundi, les autres types de cancer dont la population souffre sont : la leucémie. « A ce jour, 54 de nos patients sont atteints de leucémie (leucémie myéloïde chronique, leucémie aigüe lymphoblastique, leucémie aigüe myéloïde, leucémie lymphoïde chronique). 

Les cancers du tube digestif sont aussi plus fréquents et malheureusement au stade avancé (œsophage, estomac, colon et rectum). Les lymphomes sont représentés par 38 cas dont 24 chez les enfants. D’autres cancers prédominant chez l'adulte sont les cancers du poumon, du foie et de la prostate », nous apprend Dr. Nziyumvira.

Selon notre interlocuteur, la prévalence et l’ampleur du cancer s’expliqueraient par le fait que la pathologie était méconnue. Il n’existait pratiquement aucun centre de traitement dans le pays. Mais d’autres facteurs comme la consommation d’alcool, du tabac et d’autres produits toxiques susceptibles d’engendrer l’altération, des cellules, sans oublier des antécédents génétiques peuvent expliquer la survenue du cancer. « Par exemple pour le cancer du sein touchant les jeunes, on constate que les causes seraient souvent liées à des facteurs génétiques. Le cancer touche tous les âges de la population. », explique Dr. Jean-De-Dieu Nziyumvira. 

Cependant, bien que le cancer soit une pathologie grave, il peut être traité et guéri si le mal est détecté précocement. Ce qui n’est pas le cas chez la plupart des patients qui ne se dirigent vers l’hôpital que quand la maladie est déjà très avancée. Dans ces conditions, la prise en charge devient très compliquée, voire irréversible. Car, comme le confie Dr. Nziyumvira : « même si des patients à un stade tardif de leur maladie (stades 3 et 4) peuvent bénéficier au CMCK de traitement à visée curative ou palliative avec une chimiothérapie, il faut reconnaitre que le traitement s’avère plus difficile pour des patients qui ont besoin d’une radiothérapie. Ce dont nous ne disposons pas ici. Les patients qui ont les moyens sont orientés vers l’extérieur (Rwanda, Kenya…) pour une meilleure prise en charge ».

En attendant que ne soit construit et mis à disposition le centre de traitement du cancer dont le Gouvernement prévoit de doter le pays, le CMCK reste pour le moment le squelette de la prise en charge. Malgré les efforts déployés par l’administration de cet hôpital privé en collaboration avec le gouvernement du Burundi pour soulager les patients, force est de reconnaitre que le centre médical manque de moyens qui l’empêchent de prodiguer aux patients les soins nécessaires pour leur totale guérison. Afin de soutenir le CMCK et l’accompagner dans l’amélioration des services de soins, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), bureau du Burundi a offert en 2022 à la structure sanitaire un appareil Hotte à flux Laminaire. Un don dont se réjoui le Dr. Nziyumvira.

« Cet appareil est une aubaine pour nous, puisque nous en avions pas auparavant. Il est arrivé à point nommé et nous aide dans la préparation de la chimiothérapie, le mixing des molécules. En plus, l’appareil nous aide aussi à protéger le personnel soignant contre les produits toxiques de la chimiothérapie ».

Cette dotation de l’OMS vient ainsi renforcer les capacités du CMCK en matière d’offres de soins de qualité. Dame Marie Nsabimana s’en félicite : « Ici au CMCK, je me sens à l’aise. Le personnel médical s’occupe bien de nous à tout instant. Il est vrai qu’il manque encore des équipements comme le scanner et la radiothérapie, mais la prise en charge se fait bien. Pour ma tumeur au niveau du visage qui avait déformé ma bouche, j’ai pu bénéficier ici des services d’un neurochirurgien qui m’a opéré et aujourd’hui, malgré la large cicatrice qui me distingue désormais, je me sens en bonne santé », témoigne la patiente originaire de la province de Cibitoke. Dame Marie Nsabimana tient à lancer un appel aussi bien à ces concitoyennes qu’au pouvoir public : « je voudrais demander à la population de s’orienter rapidement vers les structures sanitaires dès l’apparition de tout signe de malaise. Souvent quand nous avons un problème de santé que nous ne comprenons pas, nous pensons à la sorcellerie et le premier réflexe c’est d’aller vers les charlatans. Ce n’est pas bien du tout. Plutôt nous savons de quoi nous souffrons, mieux nous sommes traités. A l’endroit de nos autorités sanitaires, je voudrais plaider pour que les centres de prise en charge soient équipés en appareils et en médicaments afin que les malades bénéficient des soins à la hauteur de leur pathologie ». Et Dr.  Jean-De-Dieu Nziyumvira de renchérir : « le cancer peut être bel et bien soigné correctement s’il est diagnostiqué tôt. Pour cela il faut des consultations précoces pour dépister la pathologie au stade précoce. Nos femmes et nos sœurs doivent pratiquer l’autopalpation et s’orienter très vite vers les centres médicaux en cas de suspicion. Les autorités burundaises font déjà beaucoup surtout à travers le projet de création du centre national de référence, mais en attendant que ce centre voit le jour, que l’Etat renforce les capacités d’accueil et de soins des centres existants et surtout que les partenaires, comme le fait déjà l’OMS, nous aident davantage dans la sensibilisation de la population et la formation du personnel afin que nous puissions faire face comme il se doit à toute forme de cancer et d’autres pathologies qui minent le bien-être des Burundaises et Burundais », souhaite Dr Jean-De-Dieu Nziyumvira.
 

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