L’échographie par les sage-femmes renforce l’accès aux soins maternels au Burkina Faso
Ouagadougou – « Lors de ma première grossesse il y a trois ans, j’ai dû parcourir 45 km jusqu’à Dédougou juste pour faire une échographie. Il fallait payer le transport, attendre un rendez-vous et parfois même aller en clinique privée et devoir payer 10 000 F CFA. Entre le coût du transport et le temps perdu, beaucoup de femmes renonçaient », nous confie Kindo, mère de deux enfants résidant à Tiériba. « Depuis qu’on peut faire l’échographie ici à Tiériba, gratuitement et le même jour que la consultation, c’est un vrai soulagement. »
Au Burkina Faso, l’amélioration de l’accès aux soins obstétricaux constitue un axe stratégique majeur dans la lutte contre la mortalité maternelle. Dans ce cadre, une initiative novatrice a été mise en œuvre : la formation des sage-femmes à la pratique de l’échographie obstétricale de base lors des consultations prénatales, afin de renforcer le suivi des grossesses notamment dans les zones reculées où les spécialistes sont peu accessibles. L’échographie obstétricale est un outil essentiel en soins prénatals, car elle permet de dater la grossesse, de détecter les anomalies fœtales, de dépister les grossesses extra-utérines, d’évaluer la croissance du fœtus et d’orienter sur le mode d’accouchement adéquat.
Un programme pilote a ainsi été lancé en 2021 par le Ministère de la Santé dans huit districts sanitaires de la Boucle du Mouhoun et des Hauts-Bassins. Ces deux régions ont été sélectionnées selon la taille de leurs districts sanitaires, l’accessibilité à la formation sanitaire dans un rayon de 6,4 km ou moins, un nombre moyen d’au moins 20 premières consultations prénatales par mois, l’existence d’au moins trois professionnels de santé dont une sage-femme et l’existence d’une ambulance fonctionnelle. Les zones rurales sont particulièrement ciblées avec un ratio de mortalité maternelle plus marqué qu’en milieu urbain, respectivement de 231 et 185 pour 100 000 naissances vivantes.
« Par le passé, les femmes enceintes suivies dans notre centre devaient se rendre dans d’autres structures pour réaliser leur échographie. Cela entraînait des retards dans le diagnostic, des coûts supplémentaires et parfois des difficultés évitables », décrit Denise, sage-femme depuis 20 ans et responsable de la maternité du Centre Médical Urbain (CMU) de Sakaby.
Denise a bénéficié, avec 17 autres sage-femmes, d’une formation spécialisée en échographie obstétricale de base dispensée en novembre 2023. « Cette initiative change la donne étant entendu que la détection précoce des complications est essentielle pour assurer la sécurité de la mère et du bébé », explique-t-elle. Après la formation, elle a réalisé avec son équipe 2 144 échographies de janvier 2024 à mars 2025 et 10 grossesses à risque ont pu être identifiées et prises en charge à temps.
« L’accès facile à l’échographie est d’une importance stratégique, tant sur le plan de la santé publique que du développement socio-économique. L’échographie permet un diagnostic précoce et non invasif d’anomalies et, partant, une prise en charge précoce », explique le Dr Moussa DADJOARI, Chef du service de la santé de la femme, de l’homme et des personnes âgées à la Direction de la santé de la famille du Ministère de la Santé.
Le CMU de Sakaby a, par ailleurs, enregistré le plus grand nombre de consultations prénatales et d’accouchements après la mise en œuvre du projet. 1 309 consultations prénatales et 1 030 accouchements ont été enregistrés entre novembre 2022 et octobre 2023, comparés à 1 635 consultations prénatales et 1 913 accouchements de novembre 2023 à octobre 2024.
L’initiative s’inscrit dans une dynamique plus large d’amélioration de la qualité des soins maternels, aux côtés d’autres mesures comme la gratuité des soins pour les femmes enceintes et les enfants de moins de cinq ans, y compris ceux liés à l’accouchement, l’accès libre à la planification familiale, le renforcement de la santé communautaire à travers des actions de promotion et de prévention ciblant les femmes enceintes et accouchées récentes, ainsi que l’amélioration de la prise en charge des complications obstétricales.
Le projet a été rendu possible grâce au financement octroyé dans le cadre du projet de santé sexuelle et reproductive qui a permis l’élaboration du manuel de référence destiné à la formation en échographie et l’orientation des formateurs. Seize centres de santé et de promotion sociale ont été chacun équipés d’un échographe portatif, d’une imprimante et de consommables et leurs sage-femmes ont été formées et supervisées.
Le Dr Jean de Dieu SANOU, gynécologue-obstétricien et praticien au Centre Hospitalier Universitaire Sourou Sanou (CHUSS) de Bobo-Dioulasso et l’un des six formateurs recrutés dans le cadre du projet, se félicite des résultats enregistrés tout en notant la nécessité d’améliorer certains aspects. « Bien que la formation des sage-femmes soit jugée assez courte, elle permet de fournir des informations de base utiles dans des zones à accès limité. L’absence d’échographie peut entraîner un diagnostic tardif de pathologies graves ou la méconnaissance d’une grossesse multiple. »
L’OMS recommande une échographie avant la 24ème semaine de grossesse pour optimiser le suivi prénatal. Cette approche contribue non seulement à réduire les risques pour la mère et l’enfant, mais aussi à renforcer la confiance des femmes dans le système de santé. « Pour que cette recommandation devienne une réalité, il est crucial d’investir davantage dans la formation du personnel, l’équipement des structures sanitaires et la sensibilisation des communautés », estime Dr Ramatou SAWADOGO WINDSOURI, responsable du programme de santé maternelle et infantile au bureau de l’OMS au Burkina Faso.
L’Organisation a apporté un appui stratégique à la Direction de la santé de la famille pour mobiliser les ordres professionnels, notamment les gynécologues-obstétriciens, sage-femmes et radiologues, afin de favoriser l’acceptation de cette innovation. Ce travail de plaidoyer a permis de créer un consensus autour du rôle complémentaire que peuvent jouer les sage-femmes dans la réalisation des échographies de routine. Sur le plan technique et financier, l’OMS a soutenu l’élaboration participative d’un manuel de formation sur l’échographie, conçu pour répondre aux réalités du contexte burkinabè. Ce manuel a servi de base à l’organisation de sessions de formation avec l’appui de l’OMS, destinées aux sage-femmes en particulier dans les régions où l’accès aux services spécialisés est limité.
Des défis subsistent toutefois : dans la plupart des centres de santé, une seule sage-femme a été formée, ce qui rend le service vulnérable en cas d’absence et des ruptures de consommables sont également signalées.
Malgré ces limites, l’initiative suscite un réel engouement. L’OMS et le Ministère de la Santé envisagent son extension à d’autres districts, avec le soutien de la Banque mondiale. L’objectif étant de faire de l’échographie prénatale de base un service essentiel accessible à toutes les femmes enceintes, quel que soit leur lieu de résidence. En rendant l’échographie accessible au sein même des centres de santé publics, les inégalités d’accès aux soins sont réduites et des vies sont sauvées.
« Après avoir fait l’échographie avec ma sage-femme, j’étais rassurée de voir le positionnement du bébé dans mon ventre et de savoir qu’il allait bien. J’ai vécu une meilleure expérience de grossesse », conclut Kindo, avec l’espoir que ce service essentiel soit durable et accessible à toutes les femmes enceintes au Burkina Faso.