RDC : le deuil coutumier de 40 jours aide à freiner la transmission d’Ebola
Bulape – À Bulape, Jacob Mukaba, 54 ans, vit désormais seul avec ses enfants après la disparition de son épouse, emportée par la maladie à virus Ebola. Depuis, sa maison est devenue le symbole d’un courage silencieux. Respectant la tradition locale, il s’est mis en auto-quarantaine pendant quarante jours, sans sortir, ni travailler, conformément aux coutumes de la tribu Kété. Cette pratique vise aussi à protéger la communauté : elle empêche les contacts à haut risque de se déplacer et facilite leur suivi par les équipes sanitaires.
Chaque jour, les agents chargés de la surveillance épidémiologique viennent vérifier son état de santé afin de s’assurer qu’il ne présente aucun signe suspect. Dans le cas échéant, il sera directement placé en isolement et des prélèvements seront effectués pour des analyses médicales. Grâce à cette approche, tous les contacts à haut risque ont pu être identifiés et vaccinés.
« Je respecte l’auto-quarantaine et le suivi, mais c’est difficile. Je ne peux plus aller au champ, ni subvenir aux besoins de mes enfants », confie Jacob, visiblement ému. Cette réalité, les équipes de surveillance la connaissent bien. Car au-delà des chiffres, leur mission repose sur une approche humaine et une vigilance constante. Le Dr John Otshudiema, épidémiologiste et chef d’équipe de la surveillance de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) à Bulape, rappelle que la surveillance est le pilier central de la riposte à la maladie à virus Ebola. « C’est elle qui permet de détecter et de rompre la chaîne de transmission, notamment à travers le suivi des contacts. »
À Bulape, plus de 250 personnes œuvrent chaque jour sur le terrain dans la surveillance épidémiologique, dont une majorité d’agents de santé communautaires formés à la détection des alertes, au suivi des contacts et à la sensibilisation. En moyenne, 50 alertes sont investiguées chaque jour, et près de 10 cas suspects sont isolés pour être testés. Depuis le début de l’épidémie, près de 1 000 alertes ont été notifiées, permettant d’identifier 64 cas, dont 53 cas confirmés et 11 probables. Autour de ces cas, plus de 2 300 contacts ont été suivis pendant 21 jours, tout en veillant à ce qu’ils soient vaccinés.
Mais le défi reste immense car l’accessibilité géographique complique la tâche. Certaines zones ne sont atteignables qu’après plusieurs heures de marche à travers la forêt ou les marécages. « Parfois, il faut deux heures pour parcourir seulement 24 kilomètres », explique le Dr Otshudiema. « Mais, cela ne nous empêche pas d’aller jusqu’au bout, même dans les campements les plus reculés. »
Le Dr Richard Kitenge, gestionnaire de l’incident pour la réponse à Ebola pour le ministère de la Santé, salue cette détermination. « Beaucoup d’indicateurs montrent les progrès accomplis. Aujourd’hui, tous les contacts sont vus quotidiennement. Nous avons très peu de cas non suivis grâce à la supervision rapprochée et à la coordination efficace entre le ministère et l’OMS », souligne-t-il. Il rappelle toutefois : « Dix-neuf jours sans aucun cas, ce n’est pas encore une victoire. Nous devons rester vigilants chaque jour, comme si c’était le premier jour ».
Sur le terrain, l’appui de l’OMS et des partenaires s’est révélé déterminant, tant sur le plan technique que logistique. Des épidémiologistes nationaux ont été déployés pour renforcer les équipes locales, avec des moyens adaptés : 6 véhicules dont 2 ambulances, 150 tonnes d’équipements et de matériels médicaux, 12 motos tout-terrain et 200 tablettes numériques pour la transmission rapide des données. L’OMS a également organisé plusieurs séries de formations destinées aux épidémiologistes, aux agents de santé communautaires et aux équipes de surveillance de proximité, afin de renforcer leurs compétences en détection précoce, investigation rapide des alertes, évacuation rapide par ambulance et isolement au CTE des cas suspects, ainsi que le suivi des contacts.
« Ensemble, nous sommes plus forts. Le travail main dans la main entre le ministère et l’OMS a permis de renforcer la prévention, la détection et la réactivité », rélève le Dr Jean Djemba, expert à la direction de la surveillance épidémiologique au ministère de la Santé.
Une innovation majeure de cette réponse réside dans le suivi bijournalier des contacts, une approche issue des leçons tirées des précédentes épidémies.
« Dans certaines épidémies, le suivi n’était fait qu’une fois par jour. Ici, nous avons instauré deux visites quotidiennes, ce qui permet de détecter plus tôt les signes et d’agir plus vite », explique le Dr Mory Keita, gestionnaire de l’incident Ebola pour l’OMS Afrique.
« Ce travail de précision est vital. Dans la surveillance, 99 % ne suffit pas. Il faut atteindre les 100 %, car le 1 % manquant peut relancer l’épidémie. »
La réponse à Bulape repose aussi sur une forte mobilisation communautaire. Les chefs de village accompagnent les équipes de suivi et sensibilisent la population à la vaccination et à l’isolement.
Des tribunes populaires sont régulièrement organisées pour identifier les contacts à risque et encourager la collaboration. Cette vigilance partagée est devenue l’arme la plus puissante contre la propagation du virus.
« La surveillance épidémiologique n’est pas seulement une technique, c’est un lien entre les communautés et la santé publique », souligne le Dr Keita. « C’est grâce à elle que nous avançons — pas seulement contre Ebola, mais pour renforcer la confiance, la dignité et la résilience de nos systèmes de santé. »
À Bulape, Jacob et ses enfants incarnent ce combat collectif. Chaque jour, ils rappellent que la victoire contre la maladie à virus Ebola repose sur la vigilance, la solidarité et la persévérance silencieuse des femmes et des hommes qui veillent sur la santé de tous.