Madagascar vers zéro lèpre : comment la recherche active rapproche les soins des communautés et restaure la dignité
Région Boeny – Dans le district d’Ambatoboeny, au nord-ouest de Madagascar, la lèpre demeure une réalité préoccupante qui bouleverse des milliers de vies. Chaque année, entre 1 500 et 2 000 nouveaux cas sont détectés au niveau national, dont plus de 300 chez les enfants, signe d’une transmission toujours active. Trente-sept districts restent endémiques, avec un taux d’infirmité de grade 2 avoisinant 16 %, révélateur de diagnostics encore trop tardifs.
À Ambatoboeny, avec une incidence de 26 cas pour 100 000 habitants, la situation est particulièrement critique. L’isolement géographique, aggravé par les crues des fleuves Kamoro et Betsiboka qui rendent certaines communes inaccessibles durant plusieurs mois, prive de nombreuses familles d’un accès régulier aux soins. À ces contraintes physiques, s’ajoutent des croyances profondément ancrées : pour beaucoup, la lèpre reste perçue comme une maladie héréditaire, un tabou social ou une conséquence de la sorcellerie. Cette stigmatisation retarde le dépistage précoce et expose les malades à des formes sévères et invalidantes. D’autres maladies tropicales négligées cutanées, telles que le pian, font face aux mêmes obstacles, soulignant la nécessité d’une surveillance intégrée et renforcée.
Face à ces défis, une campagne exceptionnelle de recherche active a été organisée en novembre 2025 dans les districts d’Ambatoboeny, Mampikony et Port-Bergé. Cette initiative résulte d’un effort conjoint du Programme National de Lutte contre la Lèpre du Ministère de la Santé Publique, de l’Organisation mondiale de la Santé et de la Fondation Raoul Follereau, avec l’appui opérationnel du personnel du Centre Hospitalier de Référence de District d’Ambatoboeny. Les équipes de santé se sont déplacées directement dans les communautés afin d’offrir un dépistage et une prise en charge gratuits, rompant ainsi les barrières d’accès aux soins.
La mobilisation a été remarquable. Grâce aux agents communautaires, aux messages radiophoniques, à l’affichage local et à la présence visible des équipes soignantes, plusieurs centaines d’habitants se sont présentés pour se faire examiner. Sur place, les personnes ont bénéficié de consultations médicales gratuites, de dépistage, d’un accès immédiat aux médicaments et, pour les contacts proches des patients, d’une chimioprophylaxie post-exposition à base de rifampicine, visant à interrompre la chaîne de transmission.
Les données confirment l’efficacité de cette approche proactive. En 2023, le district d’Ambatoboeny avait recensé 110 nouveaux cas de lèpre, dont 64 identifiés grâce au dépistage actif. En 2024, sur 98 cas dépistés, 62 l’ont été par cette méthode. Lors de la campagne de novembre 2025, 33 nouveaux cas ont été détectés dans les trois districts ciblés dont 16 nouveaux cas à Ambatoboeny, sans aucun cas identifié chez les enfants de moins de 14 ans, un signal encourageant qui devra être confirmé par un suivi approfondi des contacts. Treize patients précédemment perdus de vue ont également été retrouvés dont huit dans le district d’Ambatoboeny et réintégrés dans le circuit de soins, soulignant l’importance d’un suivi rigoureux et continu.
Cette campagne a permis de sauver des vies et de redonner espoir. Freddy, 24 ans, père de famille et tireur de charrette, en est un exemple poignant. Depuis plusieurs mois, il souffrait d’engourdissements, de sensations de brûlure et d’un début de paralysie de la jambe gauche, au point de perdre confiance en sa capacité de travailler. Les taches qui apparaissaient sur sa peau l’exposaient aux moqueries et à la stigmatisation. En apprenant l’arrivée des équipes médicales et la gratuité des soins, il s’est rendu à la campagne de dépistage avec l’espoir d’être pris en charge. « Je commençais à ne plus avoir confiance en moi pour travailler. En rencontrant le docteur, j’espère obtenir les traitements nécessaires et retrouver mes capacités pour donner une vie décente à ma famille », confie-t-il.
Pour le Dr Rasoamanana Lusta Cécile, Responsable de la Lèpre au SDSP Ambatoboeny, cette initiative marque un tournant majeur. « La recherche active nous permet d’identifier, d’examiner et de traiter immédiatement les malades. Elle brise la chaîne de transmission et évite des infirmités graves et irréversibles. Elle nous permet également de retrouver des personnes qui avaient interrompu leur traitement et de les réintégrer dans le système de soins. Au-delà de l’aspect médical, ces rencontres rappellent que la lèpre se traite, se guérit et ne doit plus être une source de honte. »
Le Ministère de la Santé Publique réaffirme l’importance de cette approche proactive. Selon le Docteur Mbolamanana Andrianiriniana, Chef de la Division de la Lèpre, « cette campagne démontre que lorsque les équipes vont vers les communautés, les résultats sont immédiats. Les populations les plus isolées ont enfin accès au dépistage, au traitement et à l’information. C’est une étape essentielle pour réduire les infirmités et rétablir la dignité des personnes affectées ».
L’OMS, quant à elle, apporte un soutien technique et logistique déterminant, notamment pour la mise en œuvre des campagnes, la formation des équipes, la communication communautaire et l’approvisionnement en traitements gratuits. Pour le Professeur Laurent Musango, Représentant de l’OMS à Madagascar, cette initiative montre qu’un changement durable est possible. « L’OMS reste pleinement engagée aux côtés du Gouvernement pour renforcer la détection précoce, soutenir les agents de santé et garantir un accès gratuit aux traitements. Aller vers les communautés est essentiel pour rompre la chaîne de transmission et protéger les populations les plus vulnérables. Ensemble, nous avançons sur la voie de l’élimination de la lèpre à Madagascar. »
Cette approche concertée, qui combine engagement communautaire, stratégie opérationnelle, appui technique et gratuité des soins, constitue un modèle d’intervention aligné sur la stratégie de l’OMS « Vers zéro lèpre ». La poursuite et l’extension de ces campagnes de recherche active seront essentielles pour garantir que chaque Malgache puisse accéder à un diagnostic précoce et à un traitement gratuit, maintenir le pays sur la trajectoire de l’élimination de la lèpre d’ici 2030, et lutter durablement contre la stigmatisation et les autres maladies tropicales négligées cutanées.